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Lisetta Carmi

Lisetta Carmi
I Travestiti


Née à Gênes en 1924 dans une famille bourgeoise d’origine juive, Lisetta Carmi étudie d’abord la musique et s’engage avec un certain succès dans une carrière de concertiste. Elle décide finalement de se lancer dans la pratique de la photographie. Elle s’y consacrera quelque 18 années et produira un important corpus d’œuvres.

Lisetta Carmi conçoit cet art comme un important outil d’engagement politique et d’enquête anthropologique. Parmi ses reportages les plus marquants, nous retiendrons L’Italsider (1962), une série consacrée aux chantiers et aux aciéries, Genova Porto (1964), un reportage sur le travail et Erotismo e autoritarismo a Staglieno (1966), sur le cimetière monumental du quartier génois de Staglieno. Citons encore les douze portraits célèbres du poète Ezra Pound, ainsi que ceux qu’elle a pris de Lucio Fontana, Leonardo Sciascia, Edoardo Sanguineti, Alberto Arbasino, Sylvano Bussotti et Jacques Lacan.

Le Centre d’Art Contemporain Genève est heureux de présenter une exposition en deux volets (du 3 mai au 16 juin, puis du 20 juin au 25 août) mettant en lumière deux séries de travaux – I travestiti (1965) et Genova Porto – qui témoignent de la sensibilité de l’artiste envers le monde des travailleurs et leur cause.

I Travestiti, dont une importante sélection de clichés est présentée lors du premier volet, est une série particulièrement controversée. Réalisée à Gênes à la fin des années 1960 et au début des années 1970, elle livre une réflexion intime et sensible sur la question de l’identité de genre. C’est ce travail, tout comme celui qu’elle a consacré aux ouvriers et aux communautés marginalisées qui, par l’honnêteté de son regard et son empathie avec les sujets traités, ont rapproché la démarche de Lisetta Carmi de celle d’artistes comme Christer Strömholm et Nan Goldin.

En 1972, elle écrit: « Il est vrai que les travestis se déguisent, mais ils·elles le font par nécessité. Pourtant, ils·elles ont le courage de faire ce qu’ils·elles font et d’affronter une réalité souvent dramatique et violente. Pour beaucoup d’entre eux·elles, il n’y a pas d’alternative de travail: en tant qu’hommes, ils·elles ont une apparence trop féminine, et en tant que femmes, ils·elles ont les limites fixées par leur genre masculin à l’état civil. Ils·elles supportent des situations de solitude extrême, précisément parce que la société tout à la fois les recherche et les isole, elle les oblige en pratique à vivre dans des ghettos (à Gênes, leur quartier est justement l’ancien ghetto réservé aux juifs), elle a peur de se reconnaître en eux. Elle les utilise, les paie, les juge, ignorant volontairement que ce sont des êtres humains. Mais je crois que le jugement que nous portons sur les autres est presque toujours un jugement que nous portons sur nous-même: ce qui nous effraie chez les autres est aussi en nous. Et nous nous défendons toujours en faisant offense à cette part de nous que nous refusons. » (Lisetta Carmi, extrait de la quatrième de couverture du livre I Travestiti, Rome, Essedi Editrice, 1972).

Lisetta Carmi est aussi la première à documenter la communauté LGBTIQ en Italie. L’identité de genre est alors un véritable tabou dans une Italie catholique et ultraconservatrice. Carmi est attirée et fascinée par cette communauté ostracisée. Ses photographies révèlent l’humanité et la beauté intérieure de ses sujets dans un rapport naturel, amical, de proximité, proposant un nouveau point de vue sur la prostitution. En se posant en amie sincère, en les suivant dans leur vie quotidienne, elle fait l’exploit d’imposer comme normale l’idée d’un homme qui se maquille devant un miroir, qui porte une jupe et des bas, d’un homme qui se transforme en femme.

La recherche photographique de Lisetta Carmi est aussi, d’une certaine façon, un parcours introspectif de compréhension de soi, de son être femme dans une société profondément sexiste, comme elle l’écrit elle-même à propos de la série I Travestiti: « Grâce à la communauté trans, j’ai appris à m’accepter moi-même. Quand j’étais petite, je regardais mes frères Eugenio et Marcello en me disant que j’aurais bien voulu être un garçon, comme eux. Je savais que je ne me marierais jamais et je refusais le rôle qu’on réservait aux femmes. Les travestis m’ont fait comprendre que nous avons tous le droit de décider qui nous sommes. »

Image de couverture: Lisetta Carmi, I travestiti, 1965-71. © Lisetta Carmi, courtesy Martini e Ronchetti, Gênes. Collection Rigo-Saitta.  Reproduction: Annik Wetter
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